Parapharmacie

La commercialisation de médicaments énantiomères : Le point sur leur intérêt thérapeutique

Grâce aux travaux de plusieurs scientifiques, il a été découvert que près de 50 % des médicaments disposent d’une structure chirale, c’est-à-dire qu’ils sont composés d’énantiomères. Il s’agit de deux molécules qui constituent dans un miroir des images l’une de l’autre sans être superposables. Bien souvent, c’est sous la forme d’un mélange dit racémique de ces deux entités qu’un médicament est proposé. Ces récentes années, seul un des énantiomères entre dans la composition d’un produit pharmaceutique. Une telle démarche devient une norme en raison de l’avantage financier et de la facilité à obtenir un énantiomère. Pour préférer cette forme de commercialisation à celle racémique, il faut que le rapport bénéfice/risque soit important. Alors, sur le plan thérapeutique, un médicament énantiomère possède-t-il plus d’intérêt que son équivalent racémique ? Voici le point.

Une démarche utile dans certaines situations pharmacologiques

Le contexte de la pharmacologie réunit deux différents concepts. L’un désigne la pharmacodynamie qui constitue la science qui étudie le mode d’action d’un médicament. Il s’agit en termes plus simples de ce que le produit fait une fois au sein de l’organisme.

L’autre élément auquel se rapporte la pharmacologie est la pharmacocinétique. Cette dernière représente la science qui s’intéresse à l’influence de l’organisme sur le médicament ou au devenir de ce dernier après avoir été administré.

Les différents cas d’intérêt pharmacologique

Bien qu’ils appartiennent à la même structure moléculaire, les énantiomères d’un médicament chiral sont susceptibles de se comporter de diverses façons. Ces deux entités constitutives du produit peuvent en effet posséder des réactions pharmacologiques multiplicatives, soustractives ou additives.

Sur la base des facteurs de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie, différentes situations sont possibles.

Situation n° 1 

  • Les énantiomères possèdent des effets contraires l’un à l’autre. Lorsqu’ils s’associent alors, leurs actions s’annulent. C’est une situation qui survient généralement lorsque le médicament chiral doit agir sur des canaux ioniques.
  • L’action de l’eutomère (qui constitue le plus actif des deux énantiomères) est réduite suite à l’interaction pharmacocinétique entre les deux énantiomères. Ici, le phénomène se produit souvent lorsque le distomère (énantiomère moins actif) accélère la métabolisation de l’eutomère.

Situation n° 2

  • Une absence totale d’activité de l’un des énantiomères ;
  • Une activité identique au niveau des deux énantiomères ;
  • La durée de résidence du médicament au sein de l’organisme est plus courte que celle prévue. Il s’agit d’une situation qui se manifeste assez rarement.

Situation n° 3

Des activités différentes sont observées au niveau des deux énantiomères.

Situation n° 4

L’action de l’eutomère est optimisée suite à l’interaction des deux énantiomères.

Les circonstances requises pour séparer deux énantiomères d’une même enzyme

En examinant ces quatre situations, il est possible de retenir que les deux énantiomères d’un médicament chiral peuvent être séparés si :

  • L’énantiomère exempt de bénéfices contribue aux effets indésirables dose-dépendants ;
  • Les énantiomères possèdent tous deux des effets indésirables, mais disposent de différents bénéfices ;
  • À un seul des énantiomères s’attribue un effet indésirable spécifique ;
  • Avec uniquement l’utilisation de l’eutomère, il est possible de réduire la taille des comprimés (ou des gélules) finaux.

Avec ces différentes conditions, la volonté de séparer les deux énantiomères d’un médicament chiral afin d’en commercialiser que le plus actif doit partir des données obtenues suite à l’analyse des caractéristiques pharmacocinétique et pharmacodynamique de ces derniers.

Étude pharmacologique de quelques exemples de produits vendus en France

En France, trois médicaments sont récemment vendus sous la forme d’un isomère bien qu’ils possèdent également un racémate. Il s’agit de :

  • L’escitalopram ;
  • La lévocétirizine ;
  • La lévofloxacine.

Pour dire s’il existe ou non un intérêt thérapeutique à préférer la commercialisation d’un médicament énantiomère par rapport à celle d’un produit racémique, le rapport bénéfice/risque de chacune de ces molécules sera étudié. Ce sont les formes énantiomères et racémiques de ces médicaments qui seront prises en compte pour évaluer ce paramètre.

Le cas de l’escitalopram

L’escitalopram également connu sous le nom de Séroplex constitue l’eutomère et donc l’énantiomère le plus actif du citalopram, un médicament racémique aussi appelé Séropram.

Sur la base de la pharmacocinétique

Plusieurs éléments définissent le caractère pharmacocinétique d’un énantiomère ou d’un médicament. Il s’agit de :

  • L’absorption et de la disponibilité ;
  • La distribution et du métabolisme ;
  • L’élimination ;
  • La tolérance et de la sécurité.

Ainsi, en considérant le premier point, il faut noter que le citalopram (pris à 40 mg) tout comme l’escitalopram (consommé à 20 mg) atteignent 4 h après leur administration leurs concentrations plasmatiques les plus élevées. La consommation d’un repas n’influence l’absorption d’aucun de ces médicaments.

De même, ces derniers possèdent tous deux une biodisponibilité absolue avoisinant les 80 %. À propos du deuxième point, il faut retenir que l’escitalopram possède une vaste distribution tissulaire, car son volume de distribution va de 12 à 26 L/kg. Les deux molécules en étude possèdent une liaison à leurs principaux métabolites et à leurs protéines de l’ordre de 50 à 80 %.

Le métabolisme du racémique s’effectue par oxydation et celui de l’eutomère se fait via l’action d’enzymes cytochromes hépatiques. En ce qui concerne le paramètre de l’élimination, les données d’analyse révèlent que suite à une administration orale, les deux médicaments possèdent une clairance plasmatique de 0,6 L/min.

La demi-vie d’élimination du racémique est de 33 h pendant que celle du R-énantiomère est de 30 h. De plus, ce dernier est éliminé par les reins pendant que le citalopram s’évacue par le foie. Sur la base du dernier point, il faut dire que l’énantiomère actif du citalopram possède une tolérance acceptable. Ses effets indésirables sont en réalité similaires à ceux du racémate.

Sur la base de la pharmacodynamie

Selon trois essais, notamment réalisés au Canada, en Europe et aux États-Unis, il ressort qu’une dose journalière de 20 mg de citalopram par rapport à 10 mg d’escitalopram s’avère moins efficace dans le cadre du traitement de la dépression sévère.

Outre cela, au niveau de la correction des symptômes de la mélancolie et de l’humeur dépressive, le R-énantiomère offre des résultats plus satisfaisants. En revanche, aux doses quotidiennes de 40 mg pour le citalopram et de 20 mg pour l’escitalopram, les deux médicaments sont à égalité dans le cadre du traitement de troubles paniques.

Le cas de la lévocétirizine

La lévocétirizine, aussi dénommée Xyzall constitue l’eutomère de la cétirizine, un médicament racémique commercialisé sous le nom de Virlix ou Zyrtec.

Sur le plan de la pharmacodynamie

Dans le cadre du traitement de l’allergie cutanée, divers essais attestent que le S-énantiomère de (la dextrocétirizine) ne possède aucune action sur l’érythème et les papules. La lévocétirizine et la cétirizine réduisent en revanche toutes deux ces problèmes. L’Étude DEVALIA précise cependant que :

  • La durée de l’inhibition de la lévocétirizine sur les papules est plus longue, soit de 28,4 h contre 24,4 h pour la cétirizine ;
  • La lévocétirizine possède un taux d’inhibition maximal plus élevé (83,8 %) que celui de la cétirizine (79,5 %) ;
  • La lévocétirizine enregistre un taux d’inhibition de la papule plus élevé.

Par ailleurs, dans un contexte de traitement (des symptômes) de la rhinite allergique saisonnière, une étude révèle qu’une administration journalière de 5 mg de lévocétirizine s’avère plus efficace que celle de 10 mg de cétirizine sur une période d’une semaine.

Sur la base de la pharmacocinétique

Au niveau du facteur de l’absorption et de la distribution, on retient que comparativement à 20 mg de cétirizine, une dose de 10 mg de lévocétirizine est plus rapidement absorbée. De même, la valeur du volume de distribution de cette dernière molécule est légèrement inférieure à celle de la première.

De ce fait, la lévocétirizine s’avère moins risquée en termes de :

  • Interactions médicamenteuses ;
  • Variations individuelles de l’effet thérapeutique ;
  • Toxicité dose-dépendante.

Les deux médicaments possèdent toutefois une biodisponibilité identique. Par ailleurs, en ce qui concerne le critère de la métabolisation et de l’élimination, il faut retenir que les molécules étudiées sont toutes métabolisées par le CYP 3A4.

De plus, la durée de leur demi-vie d’élimination est presqu’identique. Le R-énantiomère de la cétirizine possède en revanche un taux de métabolisation plus faible, soit de 85,8 %. Sur la base de la tolérance et de la sécurité, les deux molécules proposent des valeurs proches.

Le cas de la lévofloxacine

Pour le médicament racémique ofloxacine, la lévofloxacine représente un eutomère, c’est-à-dire un énantiomère R.

Comparaison sur la base de la pharmacodynamie

Ici, il faut retenir que sur les bactéries à Gram-positif, la lévofloxacine possède un effet qui est deux fois plus élevé que celui de l’ofloxacine. La première molécule est donc plus active que la deuxième. Outre cela, qu’ils soient producteurs de bêta-lactamases ou pas, le Moraxella catarrhalis et l’Haemophilus influenzae sont sensibles à la lévofloxacine.

Les concentrations minimales inhibitrices (CMI) de cette dernière sont en effet deux fois inférieures à celles de l’ofloxacine. Par ailleurs, sur les bactéries anaérobies strictes, les CMI de la lévofloxacine sont inférieures à celles de l’ofloxacine. Il faut préciser que spécifiquement sur les bactéroïdes Peptostreptococcus sp. et fragilis, l’activité de la lévofloxacine s’avère plus élevée.

En revanche, c’est le racémate qui possède une action légèrement plus élevée que celle de l’énantiomère R sur les bactéries intracellulaires respiratoires, car ses CMI sont plus importantes.

Comparaison pharmacocinétique

En considérant l’ensemble des facteurs définissant la pharmacocinétique, il semblerait qu’un traitement de 400 mg d’ofloxacine possède les mêmes effets qu’une administration de 200 mg de lévofloxacine. C’est ce qui ressort de l’étude de M. Verho at al.

Ainsi, au niveau de l’absorption et de la distribution, on retient que la lévofloxacine est plus satisfaisante en termes de biodisponibilité. Outre cela, tout comme la lévofloxacine, l’ofloxacine possède des concentrations sériques inférieures aux taux dans les tissus, notamment ceux :

  • De la prostate ;
  • Des glandes salivaires ;
  • De la muqueuse oropharyngée ;
  • Du parenchyme pulmonaire.

De ce fait, les deux molécules ont une forte affinité tissulaire. Au niveau du facteur de la métabolisation et de l’élimination, la lévofloxacine et l’ofloxacine sont similaires en termes de :

  • Inversion chirale (inexistante) ;
  • Stabilité stéréochimique ;
  • Métabolisme (faible : moins de 5 %) ;
  • Excrétion (par les reins).

Outre cela, l’ofloxacine possède une durée d’action moindre que celle de la lévofloxacine, car sa demi-vie d’élimination va de 5 à 7 h contre 6 à 8 h. Sur la base du critère de la toxicité et de la sécurité, il faut retenir que les deux molécules sont bien tolérées. Leurs effets indésirables sont certes faibles, mais ils restent toutefois existants.

Une démarche sans intérêt thérapeutique

Sur la base du rapport bénéfice/risque, aucun des trois médicaments étudiés ne possède une supériorité confirmée à son racémate. Il existe un autre médicament isomère appelé ésoméprazole et dont le produit racémique est l’oméprazole par rapport auquel la presse ISDB tire la même conclusion.

Cependant, il faut préciser que seule la lévofloxacine bénéficie d’une preuve d’intérêt thérapeutique. Celle-ci ne concerne que sa capacité à traiter les infections respiratoires communautaires. De manière générale, il n’existe pas d’avantage supplémentaire à préférer la commercialisation d’un médicament énantiomère plutôt qu’une vente sous sa forme racémique.

 

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