Bien-être

UTILISATION DE BENZODIAZÉPINES ET RISQUE DE DÉMENCE INCIDENTE OU DE DÉCLIN COGNITIF : ÉTUDE PROSPECTIVE BASÉE SUR LA POPULATION

Les benzodiazépines (BZD) sont des substances anti-spastiques indiquées pour le traitement à court terme des problèmes d’anxiété et d’insomnie. De fait, une fraction importante des personnes âgées de plus de 65 ans les consomme, souvent de manière chronique. Néanmoins, les directives thérapeutiques recommandent de les utiliser pendant quelques semaines seulement. Les effets cognitifs de l’utilisation à long terme des benzodiazépines ne sont pas bien connus et des études ont montré des résultats contradictoires. Cependant, une récente étude a permis d’établir s’il existe une association entre l’utilisation de benzodiazépines et le risque de développer une démence ou un déclin cognitif.

But de l’étude prospective basée sur la population

On estime que les benzodiazépines (BZD) sont employées par 30 % des personnes âgées de plus de 65 ans en France, 20 % au Canada et en Espagne et 15 % en Australie. Bien que les experts suggèrent des traitements de quelques semaines uniquement, dans la pratique clinique, l’utilisation des BZD peut durer plus longtemps que prévu, voire des années ou des décennies.

Effets cognitifs des BZD

Au regard de cette utilisation, les études ont permis de connaître les effets cognitifs à court terme de l’administration de ces substances. En effet, ils sont provoqués par l’action agoniste sur le récepteur GABA, le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central.

En revanche, les effets à long terme ne sont pas encore totalement établis. Les études précédentes qui ont analysé la relation entre l’utilisation des BZD et la démence ont donné des résultats mitigés, voire contradictoires. Quelques-unes ont montré un risque accru de démence chez les patients traités aux BZD, d’autres ont réfuté cette corrélation.

Nécessité d’une étude déterminante

Le fait que les signes prodromiques de la démence dans les premiers stades peuvent imiter les symptômes de la démence contribue à l’incertitude sur cette question. Par conséquent, une fois qu’on aura établi une corrélation entre la prise de BZD et la démence, il peut être difficile de déterminer si les BZD sont réellement un facteur déclenchant de cette dernière. Ou plutôt, serait-ce la présence de ces symptômes de démence précoce qui nécessitent l’utilisation de ces médicaments ?

Par ailleurs, on a pu estimer une hausse des cas de démence avec plus de 81 millions de cas prévus d’ici 2040. Les options de traitement étant actuellement limitées, il apparaît crucial de définir avec certitude les facteurs causaux. L’objectif de cette étude était donc d’évaluer à nouveau la corrélation entre le traitement à base de benzodiazépines et le développement ultérieur de la démence dans une population âgée. Celle-ci est suivie de façon pendant 20 ans.

Méthodes employées pour l’étude

Etude prospective basée sur la population

Elles sont à la fois basées sur le nombre de participants, le cadre de l’étude prospective connue sous le nom « Cohorte PAQUID ».

Nombre de participants

La cohorte PAQUID regroupe une population de plus de 3777 personnes âgées de plus de 65 ans non hospitalisées. Elles ont été choisies au hasard dans la population générale de deux districts du sud-ouest de la France. Ces personnes ont été suivies pendant 20 ans, avec des visites pour contrôle tous les 2 ou 3 ans.

L’étude a également inclus une période d’observation de cinq ans avant le début du suivi proprement dit. Les personnes définitivement éligibles pour participer à cette étude ne devaient présenter, lors de la visite de suivi de 5 ans, aucun signe de démence. Aussi, elles ne doivent pas avoir pris de BZD au cours des trois premières années d’observation.

Les participants ont été divisés en deux groupes selon qu’ils étaient ou non sous traitement BZD lors de la visite de suivi après 5 ans. Ceux qui n’avaient jamais pris de BZD constituaient le groupe de contrôle. On comptait et enregistrait chaque nouveau cas de démence lors des visites de suivi.

Cadre de l’étude prospective

Au début de l’étude et à chaque visite de contrôle (suivi), un neuropsychiatre recueillait en ce qui concerne chaque participant des informations détaillées sur :

  • les caractéristiques sociodémographiques ;
  • les styles de vie, les conditions de santé ;
  • la prise de médicaments ;
  • les capacités fonctionnelles ;
  • les troubles cognitifs éventuels.

Grâce à un questionnaire standardisé et préétabli, les spécialistes ont pu recueillir à chaque visite les données relatives à la consommation de médicaments, y compris les BZD.

Par ailleurs, la phase d’observation était nécessaire afin d’exclure les facteurs possibles qui entraînent la confusion. De plus, elle a permis de minimiser la probabilité d’une relation causale inverse entre la BZD et la démence.

Les spécialistes ont pu comparer les caractéristiques des patients traités ou non aux BZD en tenant compte des différences entre les deux interquartiles. De plus, ils se sont servis de courbes d’estimation de Kaplan-Meier pour comparer la survie des deux groupes. Notez qu’ils ont aussi appliqué des ajustements afin de tenir compte des facteurs de confusion possibles à savoir :

  • l’âge
  • le sexe
  • la scolarité.

Outre cela, ils ont réalisé une analyse de régression logistique destinée à évaluer la relation entre l’utilisation de BZD et le risque de démence.

Autres covariables

Outre l’âge et le sexe, qui sont des facteurs de risque à la fois pour l’utilisation des benzodiazépines et la démence, d’autres covariables ont été utilisées pour l’ajustement de base. Elles sont considérées comme des facteurs associés à la fois à l’utilisation des benzodiazépines et au risque de démence. Il s’agit notamment de :

  • l’état civil (célibataire ou non) ;
  • la consommation de vin (consommation régulière ou abstinence) ;
  • l’existence de diabète sucré ou d’hypertension artérielle (définie selon si le patient consomme des médicaments antidiabétiques ou antihypertenseurs) ;
  • l’utilisation de statines, d’inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire ou d’anticoagulants oraux et déclin cognitif.

Par ailleurs, les experts ont employé trois différents tests pour le diagnostic des troubles cognitifs :

  • le mini-examen mental ;
  • le test de rétention visuelle de Benton ;
  • la suite de tests d’Isaac.

Pour les trois, la différence entre le score obtenu à la visite de suivi et à l’inscription dans l’étude PAQUID a été considérée comme une variable quantitative. On a pu aussi évaluer les symptômes dépressifs à l’aide de l’échelle de dépression du Center for Epidemiological Studies (CES-D). Ils ont pu être classés selon des seuils validés par la population (seuil ≥ 17 pour les hommes et ≥ 23 pour les femmes).

Résultats obtenus lors de l’étude prospective

Etude prospective basée sur la population

Au total, 2084 participants, sur les 3777 initiaux, ont terminé la période d’observation de cinq ans. Parmi ceux-ci, 1063 ne souffraient pas de démence auparavant et n’avaient pas utilisé la BZD au cours des trois premières années d’observation.

Résultats des premiers facteurs de confusion

Les personnes traitées aux BZD étaient plus susceptibles d’avoir un faible niveau d’éducation (durée de l’étude célibataires ou veuves. Elles présentaient aussi des symptômes dépressifs majeurs et utilisaient des antihypertenseurs, des agents antiplaquettaires ou des anticoagulants. Au cours d’une période de suivi de 15 ans, on a pu enregistrer 253 cas de démence chez les participants utilisant des BZD (32 %), et 223 (23 %) chez les patients qui ne prennent pas des BZD.

L’utilisation des BZD au cours des deux dernières années d’observation était associée à une période sans démence plus courte. En outre, le taux d’incidence de la démence au cours de cette période de 15 ans était de 4,4 % par an dans le groupe traité aux BZD. Il était de 3,2 % par an dans le groupe non traité. De plus, le fait d’avoir pris de la BZD au cours des deux années précédant le début du suivi a été associé à un risque significativement plus élevé de démence. Aussi, on a obtenu un taux de risque accru après avoir pris en compte l’éventualité d’une démence.

Résultats des analyses des autres covariables

D’autre part, même après avoir considéré l’influence des symptômes dépressifs, le résultat est resté inchangé (taux de risque de 1,62 avec un intervalle de confiance à 95 % 1,08 à 2,43). On n’a noté aucune influence significative de l’âge, du sexe et de la scolarité. En considérant l’analyse avec les covariables, le risque de démence était de 1,40 (IC à 95 % 1,06-1,85).

Interprétation des résultats

Les résultats de cette vaste étude prospective basée sur la population ont montré que l’utilisation de BZD est associée à un risque de cancer du sein soit augmentation d’environ 50 % du risque de démence.

Conclusions des analyses sur la base des facteurs de confusion

Ce résultat précédent est resté stable même après un ajustement pour les facteurs de confusion possibles, notamment le déclin cognitif avant le traitement et la présence d’une dépression. Ces résultats confirment les données de trois études cas-témoins précédentes, menées en France et à Taïwan. Ces dernières ont montré que les personnes prenant le traitement à base des BZD ont un risque élevé de développer une démence. Néanmoins, la durée maximale de ces études était de 8 ans.

Cela n’a donc pas permis d’émettre des doutes en ce qui concerne le rôle des premiers symptômes de démence dans l’utilisation des BZD. Par ailleurs, deux autres études antérieures n’ont pas pu montrer de lien entre cette utilisation et la démence chez les personnes âgées. Alors, la validité de cette étude prospective est fondée sur le nombre significativement plus élevé de participants et sur le suivi à long terme. La phase d’observation initiale prolongée a également joué un rôle important.

Confirmation des effets indésirables de l’utilisation des BZD à long terme

Les BZD sont certainement très utiles pour le traitement de l’anxiété aiguë et de l’insomnie passagère. Cependant, il est bien connu que leur utilisation peut induire des effets secondaires graves, en particulier chez les personnes âgées. Il s’agit notamment des chutes et des fractures.

Les résultats de cette étude prospective confirment encore que l’utilisation des BZD est associée à un risque élevé de démence. Compte tenu de l’utilisation à long terme de ce groupe de médicaments dans de nombreux pays du monde, cette corrélation constitue un important problème de santé publique. Par conséquent, les médecins doivent évaluer soigneusement le rapport entre risque et bénéfice lorsqu’ils prescrivent des BZD.

Aussi, ils doivent si possible limiter sa prescription à quelques semaines rigoureusement, tel que le recommandent les directives de pratique clinique. En particulier, il faudra proscrire cette utilisation chronique des BZD. D’autres études devront vérifier si elle est associée à un risque élevé de démence, en établissant des corrélations avec la dose et la durée d’exposition.

Malgré les avantages de cette étude, elle présente toutefois des limites. En premier lieu, on a noté une incapacité à évaluer les benzodiazépines spécifiques qui interviennent dans le développement de la maladie. Deuxièmement, il n’a pas été possible de faire un ajustement séparé pour l’anxiété et les problèmes de sommeil. Ils sont tous deux considérés comme des prodromes (signes avant-coureurs) de démence, en raison du manque de mesures spécifiques de ces symptômes.

Conclusion générale de l’étude prospective cohorte PAQUID

Etude prospective basée sur la population

Cette étude apporte des preuves supplémentaires d’une corrélation possible entre l’utilisation de BZD et le développement de la démence et d’autres troubles cognitifs. Toutefois, cela ne doit pas amener la population à éviter les BZD, qui demeurent des médicaments importants dans le traitement de l’anxiété aiguë et de l’insomnie.

En fait, une fois que la corrélation entre la prise de BZD et la démence a été établie, on peut désormais être en mesure d’évaluer dans quelles conditions les BZD sont réellement capables d’induire une démence. Actuellement, les BZD sont considérés comme des facteurs légers déclenchant la genèse de la démence. D’autres études devront clarifier l’importance de la dose prise et de la durée totale de l’exposition.

Ainsi, jusqu’à ce qu’on détermine des résultats plus concluants, le médecin psychiatre et le généraliste devraient adhérer à un principe de prudence. Dans ce cas, ils doivent limiter la prise des BZD aux cas de réelle nécessité et à une durée totale de quelques semaines.

BZD et diagnostic précoce de la démence

Par ailleurs, on estime qu’une personne âgée de plus de 65 ans sur quatre utilise des BZD. Parmi ceux-ci, les trois quarts l’emploient donc à long terme. En raison de l’absence de thérapies capables de modifier le cours de la démence, il semble essentiel d’agir sur la prévention des causes et le diagnostic précoce. Les démences dégénératives, et la maladie d’Alzheimer en particulier, sont caractérisées par une longue phase préclinique et une phase initiale avec des symptômes multiples.

Malheureusement, le diagnostic n’est souvent posé que tardivement, lorsque les symptômes cognitifs sont déjà très évidents et que la maladie est à un stade intermédiaire ou tardif. Le médecin généraliste semble être la personne de confiance habilitée à déceler les premiers signes de détérioration cognitive. Tout cela est possible grâce à la relation qu’il entretient avec la victime et sa famille. Cela permet donc d’entamer un processus diagnostic-thérapeutique à un stade précoce.

 

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