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Cancérisation : la piste métabolique

Depuis plusieurs années et afin de développer des thérapies efficaces contre le cancer, de nombreuses études portant sur le processus de cancérisation sont menées. Ces dernières ont permis de réaliser beaucoup de progrès thérapeutiques et ont révolutionné le traitement de certains cancers, par exemple le cancer du sein.

Cependant, ces études présentent quelques limites. La plus importante est que les études réalisées portent majoritairement sur la piste génétique du traitement du cancer et ne tiennent pas compte de sa piste métabolique. Les cas de résistances ne cessent alors de grimper et les moyens thérapeutiques disponibles font l’objet de plusieurs controverses. Voici l’essentiel sur le processus de cancérisation et l’intérêt de la piste métabolique.

Cancérisation : définition et étapes

Voir dans les sections ci-dessous, la définition de la cancérisation et les étapes suivant lesquelles elle se produit.

Définition

La cancérisation est un processus qui favorise la dégénérescence d’un tissu ou d’une tumeur et sa transformation en un cancer. Elle regroupe l’ensemble des mécanismes antérieurs à une maladie cancéreuse et comprend plusieurs étapes. À l’origine d’une cancérisation, se trouvent généralement des désordres génétiques et métaboliques desquels dépendent les multiples approches thérapeutiques disponibles.

Étapes de la cancérisation

Le processus de cancérisation se déroule suivant trois étapes clés. À savoir :

  • La phase d’initiation ;
  • La phase de promotion ;
  • La phase de progression.

Chaque phase du processus de cancérisation est expliquée dans les rubriques qui suivent.

1. Phase d’initiation

La phase d’initiation marque comme l’indique son nom, le début du processus de cancérisation. Elle constitue l’une des phases les plus longues du mécanisme de genèse d’un cancer et peut s’étendre sur une dizaine d’années, voire plus.

Au début de la phase d’initiation, il se produit sur l’ADN d’une cellule normale une lésion importante. L’ADN lésé va se prêter au bout de quelques mois à une longue série de mutations génétiques. Au terme de ces dernières, la structure de la cellule normale est modifiée et elle est transformée en une cellule cancéreuse.

La production de lésions cancérigènes sur l’ADN et les mécanismes qui se produisent lors de la phase d’initiation de la cancérisation sont favorisés par une série de facteurs. Par exemple :

  • Les facteurs liés à l’environnement tels que l’exposition aux rayons ultra-violets, ou aux produits chimiques de nature oncogène.
  • Les facteurs liés au mode de vie tels que le tabagisme, l’alcoolisme, l’exposition aux substances chimiques contenant de la nicotine ou des ingrédients utilisés pour la formulation du tabac.
  • Les facteurs infectieux comme l’infestation de l’organisme par certains microorganismes (virus ou bactéries). Un exemple de cancer causé par un agent infectieux est le cancer du col de l’utérus dont la survenue est associée au papillomavirus.

Dès lors que la première cellule cancéreuse est formée, il devient difficile de contrôler l’évolution du cancer. Pour cela, en général, un cancer dépisté au début de la phase d’initiation est généralement plus facile à contrôler, comparativement à un cancer dépisté aux phases de promotion ou de progression.

2. Phase de promotion

La phase de promotion commence lorsque la cellule cancéreuse a subi une maturation et a acquis certaines propriétés, notamment :

  • Une autonomie en matière de division qui se traduit par la capacité de la cellule cancéreuse à ne dépendre d’aucun des signaux physiologiques qui modulent (freinent/favorisent) la croissance d’une cellule dans l’organisme.
  • Une immunité vis-à-vis de la mort cellulaire qui se traduit par la capacité de la cellule cancéreuse à échapper à l’ensemble des mécanismes physiologiques développés dans l’organisme pour induire une apoptose cellulaire.
  • Un potentiel de division infinie qui se traduit par la capacité de la cellule cancéreuse à se multiplier indéfiniment.

Lorsqu’une cellule cancéreuse acquiert ces trois propriétés, elle induit une promotion cellulaire marquée entre autres par une multiplication anarchique de la cellule. Plusieurs groupes de cellules cancéreuses se forment et sont répartis localement.

À la phase de la promotion, les cellules cancéreuses possèdent l’intégralité des caractéristiques pouvant permettre d’identifier le tissu auquel elles appartiennent.

3. Phase de progression

Au début de la phase de progression de la cancérisation, toutes les cellules cancéreuses formées à la phase de promotion subissent une maturation. Elles acquièrent donc les propriétés cellulaires d’une cellule cancéreuse et se multiplient encore. Le cancer qui était localisé à une région du corps s’étend alors progressivement à d’autres régions du corps.

Au fil du temps, lorsque rien n’est fait pour stopper la cancérisation, les cellules cancéreuses perdent tout caractère différencié. Par conséquent, il devient impossible de les identifier à un tissu spécifique de l’organisme. Ensuite, elles parviennent à induire la formation de vaisseaux sanguins secondaires. Ils sont identiques aux vaisseaux classiques et assurent l’irrigation des agglomérats de cellules cancéreuses (ou tumeur cancéreuse). Ils les approvisionnent également en nutriments et en oxygène.

Arrivées à un stade avancé de la phase de progression, la tumeur cancéreuse croît et les cellules cancéreuses corrompent les cellules saines qui sont situées à proximité d’elles afin de les exploiter à leur avantage. La maladie devient difficile à contrôler, en particulier si la tumeur cancéreuse est une tumeur maligne, c’est-à-dire qu’elle est complètement cancérisée.

Cancérisation : modifications génétiques induites

La cancérisation entraîne plusieurs modifications génétiques. En effet, tout le long du processus, l’activité de certains gènes est modifiée. Il s’agit, principalement :

  • des gènes oncogènes ;
  • des gènes suppresseurs de tumeurs ;
  • des gènes de réparation du matériel génétique ;
  • des gènes de la télomérase.

Voir les modifications induites par la cancérisation sur chacun de ces gènes plus bas.

Gènes oncogènes

Les gènes oncogènes (ou gènes proto-oncogènes) correspondent aux gènes dont l’activité est susceptible de favoriser la survenue d’un cancer. En effet, lorsqu’ils s’expriment, les gènes oncogènes stimulent la synthèse des oncoprotéines qui sont des composés chimiques capables d’optimiser la division cellulaire d’une part et d’inhiber l’apoptose cellulaire d’autre part. Ils créent, par conséquent, un environnement propice à la prolifération anarchique des cellules.

Durant le processus de cancérisation, certaines anomalies entraînent une activation et une surexpression des gènes oncogènes. Par conséquent, la croissance et la multiplication des cellules cancéreuses sont entretenues. De même, les mécanismes à l’origine de la formation tumorale sont accélérés.

Gènes suppresseurs de tumeurs

Les gènes suppresseurs de tumeurs regroupent un ensemble de gènes ayant la capacité d’entraîner la mort des cellules par un mécanisme physiologique : l’apoptose. Ils modulent la croissance cellulaire et sont à même d’identifier les cellules présentant des anomalies afin de les supprimer.

En général, lors de la cancérisation, ils sont désactivés par des mécanismes non entièrement élucidés. La croissance des cellules cancéreuses ainsi que des cellules normales est alors difficilement modulée et les mécanismes d’apoptose sont inefficaces. Un terrain favorable à la propagation du cancer est donc créé.

Gènes de réparation du matériel génétique

Les gènes de réparation du matériel génétique sont des gènes impliqués dans la correction des erreurs génétiques. Ils font partie intégrante du système de surveillance cellulaire et jouent un rôle clé dans la survenue d’un cancer. En effet, lorsqu’ils sont activés, ces gènes restaurent l’ADN quand il est sujet à une lésion ou un quelconque autre défaut.

Leur inactivation au cours de la phase d’initiation de la cancérisation constitue donc un facteur favorable à la transformation des cellules normales en cellules cancéreuses.

Gènes de la télomérase

Les gènes de la télomérase sont des gènes qui sont inactifs dans la quasi-totalité des cellules. Cependant, en raison des modifications subies par l’ADN, ils s’expriment dans les cellules cancéreuses. La sécrétion de la télomérase est alors exacerbée dans ces cellules.

La télomérase est une hormone pouvant conférer à une cellule la capacité de se multiplier indéfiniment, on assiste alors à la division infinie des cellules cancéreuses. Les processus de croissance tumorale sont de ce fait accélérés et la maladie se propage à d’autres organes.

Cancérisation : modifications métaboliques induites

Cancérisation

Deux principales modifications métaboliques sont induites par la cancérisation. Elles concernent la glycolyse et la glutaminolyse.

Glycolyse

À l’inverse des cellules non cancéreuses, les cellules cancéreuses tirent l’énergie dont elles ont besoin pour leur activité de deux mécanismes clés : la glycolyse et la fermentation lactique.

Ce mode de production d’énergie est moins efficace, comparativement au mode de production normal d’énergie qui repose sur l’oxydation du pyruvate au niveau mitochondrial et seulement sur un faible niveau de glycolyse. Cependant, il permet aux cellules cancéreuses de croître convenablement, dépossédant l’organisme de ses réserves en glucose et empêchant les mécanismes physiologiques modulés par le glucose de se dérouler convenablement.

Glutaminolyse

Les macromolécules sont des molécules chimiques nécessaires pour le fonctionnement d’une cellule. Dans les conditions physiologiques normales, ils sont fournis par le sang. Cependant, pour une maladie comme le cancer, quand la cancérisation commence, un autre mécanisme est utilisé par les cellules cancéreuses pour s’approvisionner en macromolécules. Il s’agit de la glutaminolyse. Certes, elle est réalisée également chez un sujet sain, mais dans le cadre d’un cancer, ses objectifs sont modifiés au profit de la croissance des cellules cancéreuses.

Cancérisation : pistes d’inhibition métabolique

Il existe deux principales pistes d’inhibition métabolique de cancérisation qui peuvent être explorées pour lutter contre les cancers. Elles dépendent des modifications métaboliques liées à la cancérisation. Plus d’informations sont données dans les sections suivantes.

Première piste métabolique : agir sur le métabolisme du pyruvate

Le pyruvate se trouve au cœur des mécanismes de production d’acide lactique. Il concourt donc indirectement à l’approvisionnement en énergie des cellules cancéreuses. Par conséquent, il offre une piste métabolique majeure dans le contrôle de la cancérisation dans l’organisme. En effet, à l’intérieur des cellules non cancéreuses, le métabolisme du pyruvate dépend d’un facteur principal : l’oxygène.

Lorsque l’oxygène est disponible en quantité suffisante dans les cellules, le pyruvate est métabolisé dans la mitochondrie à travers le cycle de Krebs. Il peut être converti soit en alanine par une transaminase, soit en Acétyl CoA par un PDH (pyruvate déshydrogénase). À la fin de sa métabolisation, une quantité importante d’énergie est produite et dirigée vers les chaînes de transport d’électrons. En revanche, quand l’oxygène n’est pas disponible en quantité suffisante, le pyruvate n’est pas métabolisé dans la mitochondrie. Il est plutôt transformé par le LDH (lactate déshydrogénase) en acide lactique selon une glycolyse anaérobie.

Pour les maladies cancéreuses, le métabolisme du pyruvate tel que décrit est complètement modifié. Le pyruvate est transformé exclusivement en acide lactique (même avec des quantités suffisantes d’oxygène) et les besoins en glucides sont optimisés. Pour les assumer, les cellules cancéreuses vont exacerber pour commencer l’activité des transporteurs GLUT de glucose qui assurent le transport du glucose aux cellules. Ensuite, elles vont stimuler les enzymes glycolytiques comme l’enzyme Hexokinases HK dont la fonction consiste à moduler le métabolisme du glucose. La glycolyse est alors accélérée et une quantité plus importante d’acide lactique est produite.

Pour l’entretenir, les cellules cancéreuses vont freiner la synthèse du PDH (utilisée pour le métabolisme mitochondrial du pyruvate), au profit de la synthèse la LDH (utilisée pour convertir le pyruvate en acide lactique).

L’approvisionnement en énergie des cellules cancéreuses étant glucose-dépendant, une approche thérapeutique qui empêche le transport du glucose aux cellules cancéreuses peut s’avérer très efficace pour pallier les cancers. De même, au vu du rôle clé que jouent la LDH et le PDH dans le métabolisme du pyruvate en acide lactique, ils peuvent être explorés pour concevoir un traitement métabolique efficace contre les cancers.

Deuxième piste métabolique : agir sur le métabolisme de la glutamine

La glutamine est une molécule indispensable au déroulement d’une glutaminolyse. De ce fait, elle influence fortement la croissance des cellules cancéreuses et offre également une piste métabolique pour le traitement des cancers. En agissant sur certains facteurs en lien avec son métabolisme, il est possible de réaliser de nombreux progrès. En effet, aux phases de prolifération et de promotion de la cancérisation, les besoins en énergie des cellules cancéreuses sont importants. Il s’avère donc que parfois, ils ne sont pas comblés par la glycolyse.

Dans ce cas, en particulier, la cellule cancéreuse va tirer l’énergie nécessaire à sa croissance de la glutamine qui est capable de donner lors d’une glutaminolyse au travers du cycle de Krebs de l’énergie. En plus de l’énergie, elle fournit plusieurs autres macromolécules (l’azote, le soufre, le carbone).

Développer donc dans une approche thérapeutique un moyen pouvant empêcher la cellule cancéreuse de tirer de l’énergie de la glutamine peut être un projet véritablement prometteur contre le cancer. Des études devraient explorer davantage cette piste métabolique de traitement de cancer ainsi que la précédente.

 

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