Professeur Pierre Aubry. Mise à jour 7/03/2003
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1. Généralités
Les salmonelloses comprennent la fièvre typhoïde et les salmonelloses non typhiques (ou non typhoïdiques). La fièvre typhoïde est devenue rare dans les pays industrialisés du fait des progrès de l’hygiène et de l’amélioration des conditions d’approvisionnement en eau potable. Dans les PED, l’incidence est élevée, liée aux mauvaises conditions d’hygiène et aux risques de transmission fécale. S. typhi, ou bacille d’Eberth, est le principal germe responsable de la fièvre typhoïde. C’est une maladie de l’adolescent et de l’adulte, peu fréquente chez le très jeune enfant, y compris en zone de très forte endémie.
Les salmonelloses non typhiques (improprement dites mineures) sont responsables d’infections sporadiques ou épidémiques, le plus souvent en raison de la contamination des aliments ou de portage asymptomatique. Elles entraînent des formes invasives chez les malades à risques , en particulier les malades immunodéprimés.
Les salmonelles font partie de la famille des entérobactéries, bacilles à Gram négatif. La détermination des nombreux sérotypes est antigénique. Chaque sérotype possède une mosaïque d’antigènes : somatique O, capsulaire Vi, fkagellaire H.
L’antigène O, de nature glucidolipidique, correspond à l’endotoxine. Il est composé de plusieurs facteurs, désignés par des chiffres. Il provoque l’apparition d’anticorps spécifiques dans le sérum des malades.
L’antigène Vi est un antigène de surface que possèdent S. typhi, S. paratyphi C et S. dublin.
L’antigène H, de nature protéique, est formé de plusieurs facteurs désignés soit par des lettres, soit par des chiffres. Le sérum des malades possèdent des agglutinines H spécifiques.
L’identification précise de chaque sérotype s’effectue par séro-agglutination en présence de divers anti-sérums mono-spécifiques O et H.
Extrait de la classification de Kaufmann-White indiquant les formules antigéniques de quelques sérotypes.
Sérotype
|
Antigène O |
Antigène H Phase I Phase II |
S. paratyphi A
|
Groupe A
1, 2, 12 |
a |
S. paratyphi BS. typhimurium
|
Groupe B
1, 4, [5}, 12 1, 4, [5], 12 |
b 1, 2 i 1, 2 |
S. infantis S. virchow
|
Groupe C1
6, 7 6, 7 |
r 1, 5 r e, n, x
|
S. typhi S. enteritidis S. dublin
|
Groupe D
9, 12, [Vi] 1, 9, 12 1, 9, 12, [Vi] |
d – g, m – g, ,p – |
S. enteritidis a une formule antigénique proche de S. typhi, S. typhimurium a une formule proche de S. paratyphi B. Or, ces 2 salmonelles non typhiques sont celles qui sont le plus souvent isolées actuellement chez les sujets infectés par le VIH.
Les souches multirésistantes de salmonelles, y compris aux fluoroquinolones, émergent un peu partout dans le monde, ce qui pose le problème de leur prise en charge.
2. Epidémiologie
2.1. Epidémiologie de la fièvre typhoïde
Dans les pays en développement, la fièvre typhoïde est endémique et pose un problème majeur de santé publique avec 20 000 000 de cas et 600 000 décès par an. L’homme est le seul réservoir de virus. La contamination se fait par les eaux et les aliments à partir des selles (malades ou porteurs asymptomatiques). Dans les régions les plus touchées, le pic d’incidence survient parmi les enfants et les adolescents âgés de 4 à 19 ans. Par ailleurs, l’incidence des souches de S.typhi plurirésistantes aux antibiotiques augmente rapidement depuis 1990, en particulier dans le sous-continent indien et en Asie du sud-est.
Dans les pays industrialisés, la plupart des fièvres typhoïdes (70%) sont contractées lors d’un voyage à l’étranger.
2.2. Epidémiologie des salmonelles non typhiques
Les salmonelles non typhiques sont en augmentation constante, en particulier dans les pays industrialisés. Les animaux domestiques ou sauvages sont les réservoirs de virus. Les animaux exotiques peuvent être en cause (reptiles, caméléons).
La contamination est alimentaire ou inter-humaine. Les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) sont dues pour moitié aux salmonelles. La contamination inter-humaine est importante chez l’enfant, favorisée par le portage asymptomatique (rôle des mains). Les principales salmonelles en cause sont S. enteritidis et S. typhimurium. La résistance des salmonelles non typhiques risquent d’augmenter avec l’utilisation incontrôlée des antibiotiques dans l’élevage industriel. Cette pratique contribue à répandre des souches multi-résistantes.
3. Physio-pathologie
3.1 . La fièvre typhoïde
Après l’ingestion , les bacilles typhiques adhérent sur les entérocytes et les follicules lymphoïdes (cellules M des plaques de Peyer), sont internationalisés par le système actine dépendant, accèdent à la lamina propria, sont phagocytés par les macrophages dans lesquels ils se multiplient et rejoignent les ganglions mésentériques.
Quelques bacilles gagnent le courant sanguin, la plupart sont détruits dans les ganglions lymphatiques. Leur lyse libère l’endotoxine qui va imprégner les terminaisons nerveuses du système neurovégétatif abdominal, créent des lésions intestinales qui sont envahies ensuite par les salmonelles éliminées dans la bile. L’endotoxine diffuse dans tout l’organisme et se fixe sur les centres nerveux diencéphaliques et sur d’autres organes, dont le myocarde.
De l’importance de l’inoculum, des possibilités de défense de l’hôte dépendent la gravité des symptômes.
3.2. Les salmonelloses non typhiques
Les germes sont invasifs, se multiplient dans la lamina propria et entraînent une diarrhée par production d’une entérotoxine, comme dans le choléra. Ils ne donnent pas habituellement de bactériémie prolongée, car ils sont rapidement captés par les phagocytes et tués, sauf pour S. typhi murium et S. entéritidis qui donnent des infections systémiques chez les sujets à risques (nouveaux nés, enfants drépanocytaires, immunodéprimés).
4. Aspects cliniques.
4.1. La fièvre typhoïde.
La fréquence des différents signes est très variable selon les séries. Le seul symptôme constant au début de la maladie est la fièvre, plus ou moins associée à des signes digestifs : diarrhée ou constipation et une obnubilation. Chez l’enfant, la fièvre typhoïde peut se présenter comme une fièvre isolée, ou associée à une obnubilation. Les taches rosées sont rarement vues sur peau noire.
Si le malade est vu au 2éme septénaire, le diagnostic clinique reste difficile : il faut retenir une fièvre en plateau datant de plus de 7 jours, des douleurs abdominales diffuses ou localisées à la fosse
iliaque droite, une diarrhée « jus de melon », un pouls dissocié, une hépato-splénomégalie, une prostration.
Les complications apparaissent au 3ème septénaire, en particulier les perforations du grêle, complication majeure de la fièvre typhoïde dans les PED, avec une mortalité et une morbidité élevées.
Les rechutes, chez le malade non traite, sont fréquentes : 10 à 20% , ainsi que le portage chronique : 5%, favorisé par une lithiase vésiculaire.
Tableau : fréquence (en %) des symptômes et signes de la fièvre typhoïde dans 5 séries .
Lieu
|
Abidjan (A) |
Marseille (A) |
Antananarivo (E) |
Haïti (A) |
Libreville (A) |
Date Nombre de cas Fièvre Céphalées Diarrhée, Nausées, vomissements Constipation Hépatomégalie Splénomégalie Taches rosées Pouls dissocié S. neurologiques
|
1976-1980 213 100 65 32 16
12 4
51 7
|
1978-1983 73 100 60 63 41
21 17 31 7 68 – |
1982-1984 97 100 44 35 33
21 13 10 – 9 10 |
1988-1991 217 100 41 64 45
12 0,5 0,9 – – 14,7 |
1992-1996 150 100 50 67 33
20 67 10 0,7 87 17 |
(A): adultes, (E) : enfants.
4.2. Les salmonelloses non typhiques
4.2.1. Les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) sont dues à des salmonelles non typhiques dans la moitié des cas. La contamination des aliments et de l’eau se fait par les animaux. Les aliments en cause sont les viandes, volailles, œufs consommés peu ou pas cuites, les fruits de mer, les fruits et les légumes, les crèmes glacées . Les salmonelles les plus fréquemment en cause sont S. enteritidis (viandes peu cuites) et S. typhimurium (œufs). La durée d’incubation est de 12 à 24 heures La clinique associe une diarrhée fébrile, des vomissements, des douleurs abdominales et chez les sujets âgés ou immunodéficients des bactériémies, des septicémies et des localisations extradigestives, en particulier vasculaires (aortites, endocardites sue valves antérieurement lésées).
4.2.2. Les salmonelloses non typhiques sont fréquentes et graves chez les enfants «à risques» :
– nouveau-nés et nourrissons de moins de 3 mois, avec fréquence des ostéites et des méningites ; cependant, le rôle protecteur du lait maternel explique leur rareté avant le sevrage dans les PED,
– drépanocytaires SS, mais aussi AS, avec fréquence des ostéomyélites,
– enfants malades du sida, les salmonelles étant la première cause des bactériémies, la fièvre étant apparemment isolée et les rechutes fréquentes, d’où l’intérêt d’une prophylaxie au cotrimoxazole.
4.2.3. L’association schistosomoses-salmonelloses est à l’origine de tableaux de fièvre typhoïde chez des enfants infectés par des salmonelles non typhiques, les vers adultes des schistosomes fixant électivement les salmonelles. Il faut traiter les 2 maladies pour obtenir la guérison.
5. Diagnostic biologique
5.1. Diagnostic de la fièvre typhoïde
5.1.1. Compte tenu des limites des signes cliniques en zone tropicale, il faut insister sur la valeur de l’hémogramme dans la fièvre typhoïde. Une leucocytose inférieure à 5000/mm3 est un bon critère diagnostique
5.1.2. Le diagnostic repose sur les cultures bactériennes et sur la sérologie
– les hémocultures sont positives dans 90% des cas à la première semaine, 75% à la deuxième semaine et seulement 40% à la troisième semaine. Il faut ensemencer 10ml de sang pour l’adulte, 5ml pour l’enfant, le nombre de bactéries dans le sang étant en règle faible. L’ensemencement se fait sur flacon de Castaneda
– les coprocultures se positivent à la deuxième semaine (entre 40 et 80% des cas). Il faut ensemencer sur milieu sélectif type milieu salmonelles – shigelles (milieu SS), compte tenu de la présence de nombreuses autres bactéries dans les selles.
– le principe du sérodiagnostic de Widal est la recherche des agglutinines O et H. Les agglutinines O se positivent au 8ème jour, les agglutinines H au 10ème – 12ème jour. Elles sont donc présentes au 2ème septénaire à un taux > 1/200 pour les agglutinines O et > 1/400 pour les agglutinines H. Plusieurs sérodiagnostics sont nécessaires pour suivre l’évolution des agglutinines. Les agglutinines O disparaissent en 2 à 3 mois. Les agglutinines H persistent plusieurs années. Le sérodiagnostic de Widal est un excellent examen, à condition de bien l’interpréter. Quelques exemples de résultats de sérodiagnostics empruntés à LE MINOR sont toujours d’actualité, bien que le vaccin classique TAB ne soit plus utilisé.
Tableau : exemples de résultats de sérodiagnostics
Exemples |
1
|
2 |
3 |
4 |
5 |
TO TH AO AH BO BH CO CH
|
400 800 – – 200 – – –
|
200 – – – 400 800 – – |
200 – – – – – – – |
– 400 – 100 – 200 – – |
400 100 – 200 – – |
1- Fièvre typhoïde à la phase d’état. Coagglutination BO due au facteur 12.
2- Fièvre paratyphoïde B à la période d’état. Coagglutination TO
3- Trois hypothèses à envisager :
a- fièvre typhoïde au début vers le 8ème jour : les agglutinines O sont apparues, les agglutinines H ne le sont pas encore ;
b- infection due à un sérotype de Salmonelle ayant l’antigène O commun avec S. typhi, mais un H différent : rechercher si la suspension H S. enteritidis n’est pas agglutinée,
c- infection due à un agent pathogène autre qu’une salmonelle : par exemple, Yersinia pseudotuberculosis.
4- Vacciné au TAB depuis plus de 3 mois : les agglutinines O ont disparu, les agglutinines H persistent pendant de nombreuses années. Les agglutinines AH peuvent être absentes, le vaccin contenant moins de A que de T ou B.
5- Vacciné au TAB faisant néanmoins une fièvre typhoïde à la suite d’une absorption massive de bacilles typhiques hautement virulents.
5.2. Diagnostic de salmonelloses non typhiques
Le diagnostic repose sur la coproculture. Il faut cependant faire des hémocultures, témoins des formes invasives.
5. Traitement.
5.1. Le traitement de la fièvre typhoïde repose sur les antibiotiques à forte pénétration intracellulaire, surtout intra-macrophagique. Les souches de S. typhi multi-résistantes conduisent actuellement à employer les fluoroquinolones en pédiatrie.
5.1.1. Les antibiotiques supposés actifs :
– phénicolés (chloramphénicol et thiamphénicol) : 50 mg/kg/j par voie orale pendant 14 à 21 jours ; risque : myélotoxicité (1/10.000) ; rechutes : 10 à 20% ; intérêt : prix peu élevé.
– b lactamines :aminopénicillines (ampicilline et amoxicilline) : 60 à 100 mg/kg/j par voie orale pendant 14 à 21 jours ; céphalosporines de 3éme génération (ceftriaxone) : dose : 60 mg/kg/j pendant 7 jours. Risque d’échec clinique et de rechutes, la pénétration intracellulaire des b-lactamines étant faible.
– cotrimoxazole : 50 mg/kg/j de SMX et 10 mg/kg/j de triméthoprime pendant 14 à 21 jours.
– fluoroquinolones (ciprofloxacine, pefloxacine, ofloxacine) : dose : 20 mg/kg/j pendant 3 à 7 jours ; intérêt : réduction de la durée du portage chronique.
– azithromycine : 1 g per os le premier jour, puis 500 mg X 6 jours (dose adulte), si souches résistantes aux fluoroquinolones.
5.1.2. Les médicaments de première intention :
Ils diffèrent selon l’âge et selon les pays :
– enfants : dans les PED, chloramphénicol ; dans les pays industrialisés : b lactamines, si échec clinique : traitement court par fluoroquinolones (3 jours) ;
– adultes : dans les PED, chloramphénicol ; dans les pays industrialisés, fluoroquinolones.
5.1.3. En cas de portage chronique, qui joue un rôle majeur dans la transmission fluroquinolones : ciprofloxacine, 1g/j pendant 4 semaines chez l’adulte et cholécystectomie chez les sujets porteurs de lithiase biliaire en cas d’échec de l’antibiothérapie.
Note : chez l’enfant, les fluoroquinolones sont probablement utiles, mais des études complémentaires sont nécessaires dans cette indication.
5.2. Le traitement des salmonelloses non typhiques :
Un traitement antibiotique ne doit pas être prescrit dans les gastro-entérites. Une diarrhée glairo-sanglante avec fièvre élevée et risque de bactériémie est une bonne indication des fluoroquinolones, ainsi que les salmonelloses extra-intestinales de l’enfant : méningites, y compris celles du jeune enfant, infections osseuses chez les drépanocytaires. Une prophylaxie par cotrimoxazole est prescrite chez les sidéens.
6. Prévention
6.1. Prévention de la fièvre typhoïde
Elle repose essentiellement sur la vaccination. Deux types de vaccins sont actuellement sur le marché :
– vaccin vivant atténué, oral, vaccin suisse non commercialisé en France, chez l’enfant de plus de 6 ans et l’adulte,
– vaccin inerte fractionné : Typhim Vi® (Aventis Pasteur) et Typherix® (Glaxo Smith Kline), efficace en une injection sous-cutanée ou intramusculaire, chez l’enfant de plus de 2 ans et l’adulte ; il entraîne une protection rapide et durable (3 ans), y compris dans les zones hyperendémiques; il est bien toléré; il ne protège que contre S. typhi.
La vaccination contre la fièvre typhoïde est recommandée par l’OMS aux personnes voyageant dans les pays où les conditions d’hygiène sont précaires. Il faudrait, en 2002 vacciner les enfants de plus de 2 ans dans les zones d’endémie élevée (Asie du sud-est, Afrique, Amérique latine), où les systèmes d’assainissement sont insuffisants.
Il faut y associer la lutte contre le péril fécal.
6.2. Prévention ders salmonelloses non typhiques
Elle repose essentiellement sur les règles d’hygiène général et le contrôle de la qualité de l’eau et des aliments..
Références
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